Cité-Lettre n°2

espa tience

Projets, habitants, lieux, écritures et paroles sont des mots communs. Pourtant, par superficialité, on les survole, négligeant  ainsi leur féconde complexité.

Les mots décrivant la ville - espaces, êtres vivants et sociétés - demandent avec rigueur et enthousiasme, à être en permanence mieux définis et enrichis.

L'objectif est de tracer collectivement les  chemins de projets de transformations plus maîtrisées, non subies.

Poser sa voix et passer la parole sont d'un même élan, appelant espace et temps. Espa tience ? Espa science ? ...

La Cité-Lettre | numéro 2 

Par la fenêtre ouverte, les toits de la ville dit ce petit chaos urbain de l'espace habité qui par le regard est aussi espace public

UN THEME 

Une dose d’espace public 

Liberté du semblable ?

La liberté du choix de la localisation de sa résidence, de la fréquentation des équipements, de ses lieux de loisirs et de vacances se caractérisent par la recherche du même plutôt que de l’autre. Et, les moments et les espaces qui rassemblent des personnes, diverses en âges, en parcours et origine socio-économiques, en apparence (vêtements, gestes, rapports aux autres, ethnie…) sont finalement assez rares.

Un remède aux grands mots

L’ampleur de la pandémie, et ce moment singulier qui en est aujourd’hui la vaccination, sont des occasions de méditer sur ce paradoxe entre la liberté de l’homogénéité – l’Egalité, la Mixité et la Diversité, grands mots parmi les plus répandus des discours politiques des systèmes  démocratiques -, et l’obligation exceptionnelle de l’hétérogénéité.

L’égalité, la diversité, la mixité dans une unité de lieu et de temps réduite – celle de l’administration – et ce mot est à prendre dans tous ses sens – des doses vaccinales  furent offertes par la crise sanitaire.

S’équiper collectivement

Cette administration est en partie organisée, en les  annexant temporairement, dans des équipements de grande dimension, qui peuvent simultanément accueillir, en station, un grand nombre de personnes et maitriser, en mouvement, les flux et les circuits de circulation générés par ce grand nombre.

Certains seulement ont été malades, certains sont morts et ont plongé intimement leurs amis et familles dans une immense détresse du fait que s’ajoutait à la mort d’un proche l’interdiction de l’approcher, précisément.

Et, une majorité, dans un nombre incalculable de pays, s’est retrouvée malade des effets ultra-sanitaires de la pandémie.  Les décisions de confinement et d’arrêt des activités qualifiées d’inessentielles a confronté chacun à l’expérience d’un bouleversement des limites établies, invisibles par habitude, entre espaces individuel et collectif, privé et public.

Cécité non-essentielle ?

La vaccination massive de la population,  mêmes si non obligatoire – contrairement aux confinements successifs et autres « mesures barrières » à la propagation virale – est une autre expérience, à mon sens, qui permet de voir ce qu’une majorité d’entre nous ne voit pas ou très peu dans le quotidien homogène de son environnement.

L’écrivant, un immédiat rapprochement se fait entre la sur-visibilité dans l’espace public, leur incarnation, des métiers – sanitaires, sociaux, du secours et de la police – qui échappent (en partie) dans leur exercice professionnel à cette double limitation de la dématérialisation par le télétravail et tutti quanti, et par l’entre-soi, et les effets de cette deuxième expérience de la diversité augmentée dans ce moment de grand chamboulement des mises à distance de l’espace-temps.

UN LIEU

Samedi 22 mai 2021 | Marseille | Stade-Vélodrome

Une expérience de diversité augmentée

Je me suis donc rendue comme nombre d’autres au Vélodrome, à Marseille, pour recevoir ma première dose de vaccin. C’est un monument déjà connu et étudié pour sa qualité de constitution d’un monde en soi. Il concentre en effet le temps des matchs l’extrême diversité des quartiers de la ville, sans effacer – car les tribunes d’un stade et l’organisation des supporters, disposent, comme tout espace urbain, les divisions préalablement établies – les différences et les frontières invisibles, sous la puissance orientée de la ferveur collective.

Rendez-vous pris à distance sur une plate-forme numérique, nous sommes tous en présence munis de nos écrans qui attestent de nos raisons d’y être physiquement.

Premières surprises, une file à l’extérieur laisse présager une longue attente avant le rendez-vous. Il s’agit simplement de la fouille vigi-pirate avant l’entrée. Il ne manquerait plus en effet qu’un centre de vaccin soit le lieu d’un attentat meurtrier et, j’avais presque oublié cette superposition des menaces…

Je m’attendais à pénétrer dans un espace immense. Il n’en est rien. Bien que dans l’enveloppe bâtie du stade, la scène de la vaccination se déroule en coulisse et en périphérie, dans un espace assez banal de hall, peut-être comptoir de guichet en temps normal.

Ordre, calme et civilité

Tout est parfaitement séquencé, cadré, organisé et placé sous le bienveillant encadrement des Marins-Pompiers. Cette organisation est à la fois militaire dans son anticipation, sa décomposition en tâche simple et compréhensible par tous, et en gestion des flux, sous le signe d’une grande civilité, attention, compassion. C’est efficace pour annihiler tout mouvement de panique ou de désordre. Certaines compagnies d’aviation auraient des choses à y apprendre…

Un espace qualifié par les personnes

L’espace, médiocre dans ses formes et proportions, est sans qualité ; les hommes et les femmes qui l’habitent temporairement vont en déployer de nombreuses.

Parmi les stations du chemin de vaccination, il y a le remplissage partiel de quelque formulaire administratif. Après qu’on a appelé votre numéro, un pompier vous conduit à une chaise et vous explique ce que vous avez à écrire prenant soin de rappeler que l’on ne doit pas hésiter à faire appel à l’aide à la moindre difficulté.

Autour, chacun semble affairé à remplir son devoir jusqu’à ce que, ayant fini pour ma part d’écrire, je remarque presque en face de moi l’embarras d’une fille, jeune d’une vingtaine d’années, qui se résout à faire un signe très discret, imperceptiblement honteux, d’appel à l’aide. Sagace, car devançant quasiment la demande, une femme de l’équipe d’organisation s’assoit à côté d’elle : « vous n’y arrivez pas ? » Silence gêné et petit hochement de tête « Ce n’est pas grave, on est là pour cela. Allez ! on va le remplir ensemble ».

UNE OEUVRE

Le corps collectif

Intenses fugacités

Cette micro-situation, qui doit se répéter plusieurs fois par jour, rappelle à chacun d’entre nous, combien sont rares les occasions de côtoyer autre chose que ce qui nous ressemble. Et j’entrevois un instant, ce qui pour cette jeune fille est un poids de tous les instants, handicap social majeur d’analphabétisme, que le tous-confinés avait contribué à sceller.

Apprentissage de l’altérité ?

L’attente et la qualité humaine de l’organisation, démontrent s’il en était besoin que nos vies ne se résument pas à des « data » et à la dissolution des corps dans la dématérialisation triomphante. Elles génèrent des échanges avec son voisin ou sa voisine, certains pour éprouver leur immersion dans un espace public haussent la voix pour susciter une approbation, une réplique de voisinage. L’espace-temps d’émotion corporelle individuelle nécessaire et pré-organisé minutieusement, pour en prévenir tous les écarts par la vaccination crée un lieu, un intermède spontané de sociabilité, d’interactions minuscules ; l’infra-ordinaire devenu rareté.

Il y a donc ici une manière de «coupe transversale» en un temps donné sur la société. Et comme, durant, feu les trois jours du service militaire obligatoire, c’est dans ces moments de convocation nationale qu’on peut repérer une part de l’étendue du handicap de ne savoir ni lire ni écrire.

L’infra-ordinaire émotionnel

L’injection reçue, chacun doit attendre 15’ pour contrôler le risque de réaction anaphylactique, la dernière station marquant l’obtention du bon de sortie et la vérification de la prise de rendez-vous pour la deuxième injection. Durant ces 15’, une petite quarantaine de personnes sont assises en ovale. Trois personnes ont fait de légers malaises : pâleurs, nausées ? Le pompier, responsable de cette séquence leur donne un verre d’eau, les invite à prendre l’air un moment. Rien de grave, apparemment, qu’un stress traversant les uns plus que les autres mais relevant aussi de cette aventure collective à travers laquelle chacun se fait un peu peur d’un face-à-face avec une dimension qui le dépasse.

Ce ne sont plus les journaux, les réseaux sociaux, la télé qui parle « des gens », de la société, mais dans un espace bien réel, avec les vrais compagnons d’un moment fugace, une expérience commune qui est à l’œuvre. Ce que l’on appelle un espace public ?

Il est possible que s’ajoute à la renommée des lieux la mémoire de ce moment vécu. Bon ou mauvais souvenir, il est trop tôt pour le dire.

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